dimanche 13 avril 2008

Dossier - Les touaregs du Niger: de l'uranium sous le sable (2/2)


Suite de l'article précédent consacré au Niger.

La nouvelle rébellion : l’uranium en toile de fond

Les accords de paix n’allaient tenir qu’une douzaine d’année. En février 2007, un groupe jusqu’alors inconnu, le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ), mène plusieurs attaques d’envergures contre les forces armées. La reprise des affrontements surprend autant les observateurs internationaux que les autorités de Niamey, tant le MNJ – qui dispose d’un site web bien fourni et bien entendu partial – semble émerger de nulle part. A la tête du groupe, un certain Aghali Alambo, un ancien berger devenu homme d’affaire via une reconversion de le tourisme, qui notamment demande un « réel partage des richesses générées par l’exploitation de l’uranium et du pétrole (…) pour que cet argent serve en priorité à des projets de développement dans la région ».

Bien que crée par les touaregs, le MNJ brandit ainsi des revendications plus générales sur le Niger. Dans un pays où les scandales de corruption sont nombreux, le MNJ demande, en plus d’une plus grande autonomie régionale et de la reconnaissance des droits des touaregs, une véritable opération « main propres » au Niger. Surtout, le MNJ s’attache à certaines revendications précises – par exemple, la redistribution de 50% des retombées financières liées au commerce d’uranium aux populations locales (voir entre autres cet entretien avec le porte-parole du MNJ).

Car depuis les accords de 1997, l’exploitation de l’uranium au Niger a continué de manière exponentielle. L’augmentation des prix du barils du pétrole fait de l’exploitation de l’uranium un commerce encore plus prometteur, mais aussi plus coûteux. Un mois avant la nouvelle insurrection, l’état nigérien ne s’est pas privé de renouveler les contrats à prix d’or. La hausse de l’exploitation est souvent catastrophique pour les populations locales. Un groupe d’ONG révèle ainsi que les taux d’exposition à l’uranium des employés, presque exclusivement touaregs, dans les mines d’areva sont 40 fois supérieurs au maximum autorisé par l’OMS ; il n’y a quasiment pas de surveillance médicale des équipes ; l’exploitation contaminerait aussi l’eau utilisée dans les villages touaregs…

C’est en tout cas les exploitations d’uranium qui sont prises pour cibles par le MNJ, en plus des positions de l’armée nigérienne. Le 21 avril, un site d’extraction détenu par Areva est attaqué par le MNJ. En juillet 2007, c’est un cadre chinois d’une entreprise de prospection qui est enlevé, puis relâché par les rebelles. D’autres entreprises étrangères sont attaquées : plusieurs véhicules de la société française Satam (infrastructures routières) sont volés, tandis que parallèlement, de nombreux affrontements entre armée régulière et MNJ se déroulent régulièrement depuis l’année dernière.

Areva au cœur du conflit

En juillet 2007, coup de théâtre : le directeur d’Areva au Niger, Dominique Pin, est expulsé par les autorités nigériennes, une décision qui ne manque pas de surprendre jusqu’au Quai d’Orsay. A demi-mot, les autorités de Niamey accusent certes depuis quelques mois des « puissances étrangères » d’être intervenues dans le conflit touareg. Mais l’expulsion de Pin illustre les doutes grandissants de Niamey : et si Areva était en contact avec la rébellion touareg ? Un mois auparavant, l’ancien colonel français Gilles de Namur, chargé de la sécurité du groupe, avait lui-même été expulsé, soupçonné d’avoir rencontré des leaders du MNJ…


Mine d'uranium au Niger (source: dissident média)
Face à ces accusations, Areva, dont les exploitations au Niger représentent 40% de ses ressources en Uranium, se défend de toute intrusion dans le conflit, et juge ces suppositions « sans fondement ». Les déclarations officielles du MNJ semble lui donner raison : en juin 2007, le groupe s’est fendu d’un communiqué critiquant la politique d’Areva au Niger. Bien qu’il soit difficile, sinon impossible, de savoir qui dit vrai dans cette affaire, la situation appelle à de nouvelles questions. Areva serait-elle entrée en contact avec le MNJ pour assurer sa « sécurité », en l’échange de compensations financières ? Y a-t-il derrière cette affaire une idée d’alliance plus large avec les touaregs ? Les autorités nigériennes cherchent-elles, à travers des accusations fantaisistes, à mettre Aréva sous pression pour faire grimper le prix des « concessions » d’uranium sur son territoire ?

De l’Uranium aux violations de droits de l’homme

En parallèle, le conflit continue, et les troupes de Niamey, plutôt expéditives, n’hésitent pas à attaquer la population civile. Refusant toute négotiation avec la rébellion, le gouvernement nigérien entend au contraire réprimer le MNJ par la force, à l’inverse du Mali qui, de son coté, vient de signer un accord de cessez-le-feu.

Selon Amnesty International, les violations de droits humains concerneraient autant le MNJ que les troupes nigériennes. Ainsi, l’organisation condamne en janvier 2008 une prise d’otage orchestrée par le MNJ, ainsi que la pose de mines anti-personnel par l’organisation rebelle. Parallèlement, les forces nigériennes commettent de nombreux viols et attaques de villages et civils touaregs.

Source: le pays touareg

Fin mars 2008, l’armée nigérienne lance une nouvelle offensive d’envergure contre les positions touaregs. Quelques jours auparavant, Niamey avait décidé de suspendre pendant trois mois la diffusion de RFI, accusée de « discrédit jeté sur les institutions », tandis que plusieurs journalistes ayant pénétré dans le pays touareg, désormais "zone interdite", sont en séjour dans les prisons du pays. Complètement oublié par les autorités françaises, qui se situent pourtant au cœur du conflit, les touaregs connaissent une situation humanitaire de plus en plus dramatique. Preuve, s’il en fallait, que les populations civiles d’Afrique payent souvent très cher les besoins énergétiques des pays du nord...

Manu Brutin

Aucun commentaire: