dimanche 30 mars 2008

Dossier - Abkhazie, bientôt le dégel? (2/2)

Dans les semaines précédent la déclaration d'indépendance du Kosovo, l'Abkhazie s'est retrouvée, par ricochet, sur le devant de la scène. La Douma russe se disait prête à reconnaître l'indépendance de cette république séparatiste, tout comme seule du micro-Etat d'Ossétie du Sud. Réactions outrées de la Géorgie, qui s'est constituée depuis 2003 une armée professionnelle de 28.000 hommes et frappe avec insistance à la porte de l'OTAN, à quelques jours du sommet de Bucarest. (du 2 au 4 avril). Surenchère des dirigeants Abkhazes, qui préparent une demande officielle de reconnaissance à l'ONU.

Sous embargo depuis janvier 1996, l'Abkhazie a vu la Russie et la CEI lever le 6 mars les sanctions pesant sur son économie. A deux doigts de reconnaître l'indépendance du territoire suite à la déclaration d'indépendance du Kosovo le 17 février, la Russie s'est finalement contentée de ce geste économique. Dans une situation délicate, la Russie ne peut, après avoir défendu l'intégrité territoriale de la Serbie, reconnaître l'indépendance de l'Abkhazie.

On se dirige de fait vers une "Taïwanisation" de l'Abkhazie : tous les attributs d'un Etat indépendant, des relations diplomatiques officieuses avec la Russie, mais pas d'indépendance officiellement reconnue.

Selon Archil Gegeshidze, un expert de la "Georgian Foundation for Strategic and International Studies", la Russie pourrait se contenter de soutenir l'indépendance de fait de la république séparatiste, en contribuant au développement de son économie, prometteuse.

Asphixiée par l'embargo qui a suivi la guerre de 1992-1993, l'Abkhazie peine à se relever. Ancien paradis touristique, grâce à ses plages et à son climat sub-tropical, la république attire l'intérêt des investisseurs Russes et Arméniens. La population Arménienne importante, originaire de la côte nord de la Turquie à la fin du XIXème siècle, garantit des liens étroits entre l'Arménie et l'Abkhazie, qui attire de nombreux touristes arméniens. La perspective des J.O d'hiver de Sochi en 2014 pourrait faire beaucoup pour l'économie locale: l'Abkhazie devrait fournir matière première et ouvriers nécessaires pour l'immense chantier engagé dans la station balnéaire Russe. Elle pourrait également loger 15 à 20 000 ouvriers, à condition qu'on l'aide à améliorer ses infrastructures. L'enjeu est énorme : modernisation de l'industrie et du réseau de transports en Abkhazie, contre ciment et main d'oeuvre bon marché.

Source Abkhazeti.com

Autre géant régional, la Turquie a aussi son mot à dire. Exportatrice de biens vers l'Irak, l'Iran, (par contrebande) l'Arménie (eh oui!), la puissance économique turque abreuve l'Abkhazie de produits de consommation, important du bois, du métal et du charbon. Les bateaux turcs ne sont que peu touchés par les sanctions des gardes-côtes Géorgiens, qui interdisent théoriquement tout trafic maritime vers l'Abkhazie. Des investisseurs turcs ont également acheté des mines et des champs de noisettes : une manière de contourner la crise provoquée par l'effondrement des prix à Giresun et Ordu, traditonnels bastions de la noisette turque, premier producteur mondial?


Source : http://yandunts.blogspot.com

Mais quel statut futur pour l'Abkhazie me direz-vous? Tout semble laisser croire que ce conflit pourrait rester gelé pour de nombreuses années. Les propositions Géorgiennes de résolution du conflit, basées sur une très large autonomie dans le respect de l'intégrité territoriale de la Géorgie, font ricaner les dirigeants Abkhazes. C'est en effet ce que demandaient les Abkhazes en 1991, ce à quoi la Géorgie avait répondu par une invasion et le bombardement de la capitale. Lors de pourparlers pour la résolution du conflit, de 1994 à 1997, la Géorgie de Chevernadez avait refusé à plusieurs reprises un Etat basé sur "l'union de deux sujet égaux", tous les deux reconnus internationalement, avec un droit à la sécession.

Dans l'esprit des dirigeants Abkhazes, la seule solution est l'indépendance, et tout retour dans le giron Géorgien est exclu. La Géorgie cherche donc l'intégration dans l'OTAN, afin de "sacraliser" son intégrité territoriale. Cependant, la répression des manifestations démocratiques de Tbilissi en Novembre 2007 a changé la donne, et pourrait peser très lourd sur les chances géorgiennes de recevoir l'aval de l'OTAN au sommet de Bucarest. La communauté internationale est de toutes façons farouchement opposée à l'indépendance de l'Abkhazie, mais le précédent du Kosovo risque de peser lourd.

Moscou cependant ne devrait pas appuyer l'indépendance Abkhaze, car un précédent caucasien pèserait pour la Russie bien plus lourd qu'un énième redécoupage des frontière dans les Balkans.

Quid d'une intégration à la Russie? Le ministre des affaires étrangères Abkhaze, Serguei Shamba, propose pour l'Abkhazie un statut proche de celui des Iles Marshall vis à vis des Etats-Unis, un état de "libre association", de fait un protectorat. L'Abkhazie synchronise déja sa législation sur celle de la Russie, ses citoyens bénéficient du passeport Russe, nécessaire pour voyager à l'étranger. Une annexion pure et simple, même avec l'accord de la population Abkhaze, serait internationalement encore plus incacceptable qu'une reconnaissance de l'indépendance.

La dernière solution, qui fait craindre l'embrasement général du Caucase, est une invasion de l'Abkhazie par l'armée Géorgienne. La Géorgie a quadruplé son budget militaire depuis 2003, multiplie les manoeuvres et les accrochements à la frontière de l'Abkhazie, ainsi que les déclarations belliqueuses. Seule la menace Russe a pour l'instant retenu le gouvernement de le Sakachvilli, mis en jambe par sa reconquête éclaire et sans effusion de sang de l'Adjarie en 2004. En l'absence de perspective politique, l'option militaire est elle envisageable? Une invasion Géorgienne pourrait conquérir l'Abkhazie en quelques jours. Mais l'équilibre de la terreur joue à plein dans cette guerre froide du Caucase, et la tension extrême des relations russo-géorgienne dissuade Tbilissi de tenter le diable.

mercredi 26 mars 2008

Le dictateur du jour - Obiang Nguema, parricide et force tranquille

Quel dictateur n’a jamais rêvé de diriger un petit pays pétrolier tranquille, loin du ‘bling bling’ des grandes nations, et qui permette de s’enrichir en toute tranquillité?

Ancienne colonie espagnole, la Guinée équatoriale, petit état de 468 000 âmes, connaît depuis la découverte de ses richesses pétrolières une croissance sans précédent. Bien que la manne pétrolière permette au pays d’avoir l’un des PIB par tête les plus hauts des pays africains (4100$), la Guinée équatoriale ne se classe que…127ème mondiale en terme d’indicateur de développement humain (IDH). L’espérance de vie y est de 51 ans. Une statistique finalement peu étonnante au regard de Obiang Nguema, dictateur qui dirige le ‘Koweit de l’Afrique’ depuis 1979.






Du parricide à la bienveillance de la France

Comme l’atteste son CV officiel, Obiang s’illustre dans les années 1970 dans l’armée guinéenne, dont il gravit rapidement tous les échelons. En 1975, il accède au poste de Chef des Armées, puis est nommé vice-ministre des forces armées populaires. Un poste clé, qu’il utilise pour renverser le pouvoir en place en 1979.



Un parcours typique de dictateur africain ? Pas tant que ça. Lors de son « coup de la liberté », Obiang renverse…son oncle et mentor, Francisco Macias Nguema, qui avait pourtant contribué à ses promotions successives au sein de l’armée. Ce dernier, en fuite, se réfugiera dans un bunker où il détruira les réserves monétaires du pays dans un acte de folie. Sans pitié, Obiang le fera condamner à mort dans la foulée.



Malgré ce parricide, Obiang bénéficie dès son accession du soutien des pays occidentaux. Son arrivée au pouvoir marque le retour de la Guinée équatoriale dans le bloc de l’Ouest, et, dans un premier temps, semble marquer un assouplissement de la dictature, tandis que Jean-Paul II, qui apprécie le catholicisme fervent d’Obiang, lui rend visite en 1982. La France de Mitterrand, en pleine période de Françafrique triomphante, saisit l’opportunité et investie massivement, notamment via Elf-Acquitaine, dans ce nouvel eldorado. Les premiers francs CFA sont distribués dès 1982. Obiang conservera son amitié avec tous les chefs d’Etat français successifs, y compris Nicolas Sarkozy, qui le rencontrera en Octobre 2007.



Succès électoraux

Dans les années 1980, Obiang enchaîne les succès électoraux impressionnants. Suite à son coup d’Etat, la nouvelle constitution est approuvée à 95.38%. S’en suit une longue période sans élections, ce que les nouveaux alliés occidentaux viennent à reprocher du bout des lèvres. Qu’à cela ne tienne ! Obiang organise une démocratie participative a parti unique, avant de tolérer d’autres mouvances politiques (en fait dirigées par ses alliés à 95%) dans une constitution approuvée par référendum en 1991 (98,4% de « oui »). Après une quinzaine d’années sans élections, Obiang est finalement réélu en 1996 (en tant que candidat unique) et 2002, où il recueille plus de 97% des suffrages.

Pour parachever le tout, le Président vient de dissoudre l’assemblée nationale, vouée à sa cause, afin que les élections législatives se déroulent en même temps que les municipales, en mai 2008, soit deux ans avant les présidentielles de 2010. Raison invoquée par le ministre de l’information Santiago Nsobeya Efuman: la nécessité « d'éviter la fatigue physique et le gaspillage que suppose l'organisation successives de trois élections ». Pourquoi se compliquer la vie, effectivement…

A la manière des grands dictateurs, Obiang sait aussi remercier ses amis. Son gouvernement ne compte pas moins de 59 ministres et secrétaires d’Etat, soit un pour 10,000 habitants. Ce qui fait sans doutes de la petite Guinée Equatoriale le pays au gouvernement le plus dense du monde…

Caricature de Obiang, par Jeffrey Decoster


Le « Dieu de la Guinée équatoriale »

Classé par Reporter Sans Frontières comme l’un des prédateurs de la liberté de la presse, Obiang est un grand fan du culte de la personnalité. Cet homme, que les médias locaux présentent modestement comme le « Dieu de la Guinée équatoriale », aurait même, toujours selon ces mêmes médias, le pouvoir de « décider de tuer sans que personne lui demande des comptes et sans aller en enfer ». Le veinard…

Malgré les multiples accusations des ONG de défense des droits de l’homme, Obiang fait la sourde oreille. Passé maître de l’utilisation du pétrole comme arme géopolitique, il voyage beaucoup, tant en Europe et aux Etats-Unis qu’en Amérique Latine, et s’offre même le luxe de rencontrer Benoît XVI en décembre 2005. Face à une question d’un journaliste de Jeune Afrique, qui lui demande pourquoi la Guinée Equatoriale est régulièrement accusée de violation des droits humains, Obiang reste placide « Je l’ignore moi-même ». Avant d’ajouter, sans rire, que « Nous venons même de réhabiliter et moderniser la prison de Black Beach [connue pour ses conditions de détention et la torture qui y est pratiquée]. C’est désormais un hôtel cinq étoiles ! ».



Classé par le magazine américain Forbes comme l’un des hommes d’Etat les plus riches de la planète, Obiang attise toutes les convoitises, et vit désormais dans la crainte d’un coup d’Etat, tandis que plusieurs témoins le décrivent comme gravement malade. Au dernière nouvelles, il chercherait à tout prix à assurer sa succession en plaçant son fils, heureux propriétaire d’une villa sur la plage de Malibu, à sa succession. Une manière comme une autre de consacrer un peu plus la transformation de la petite république en émirat pétrolier...

Manu Brutin



Liens:

- Site internets de RSF, Amnesty International, et Human Rights Watch consacrés à la Guinée Equatoriale

- Article de fond du journal allemand Der Spiegel (en anglais), Août 2006

mardi 25 mars 2008

Dossier - Abkhazie : un conflit très Caucase (1/2)

"Vous les Européens, vous pouvez pardonner à vos ennemis, et nous, dans le Caucase, nous avons le sang chaud. Nous avons préservé la tradition de la "vengeance du sang". Et du sang a coulé entre nous, plusieurs milliers de jeunes Abkhazes ont été tués. Pour cette raison, malheureusement, nous allons demeurer ennemis pour le siècle à venir."

Tout un programme n'est-ce-pas? Par cette déclaration, Nuzgar Ashuba, président du parlement Abkhaze, réagissait le 24 mars 2008 à une proposition Georgienne de confédération entre la Géorgie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.

Mais quelle est donc cette Abkhazie brandie par Moscou en potentielles représailles à l’indépendance du Kosovo ? Quelles sont les clés de ce conflit méconnu, commencé en 1992 et « gelé » depuis, qui a vu des déplacements massifs de population et l'indépendance de facto d’un territoire encore reconnu comme partie intégrante de la Géorgie par la communauté internationale?

Carte et Drapeau de l'Abkhazie

Histoire et Démographie

Les Abkhazes sont un peuple caucasien, ethniquement et linguistiquement différent des Géorgiens, mais dont l’histoire est étroitement liée à celle des royaumes de Georgie. Chrétiens Orthodoxes, une partie de leur population a pourtant été convertie à l’Islam pendant l’occupation ottomane.

Hommes Abkhazes, XIXème siècle

Lors de la conquête Russe au XIXème siècle, environ 250 000 Abkhazes musulmans se sont réfugiés dans l’Empire Ottoman, et ils forment encore une minorité en Turquie, estimée à 40 000 (2001) Personnes, dont 4000 locuteurs(1980), ce qui ne prend pas en compte les centaines de milliers de Turcs d'origine Abkhaze mais dont l'identité s'est perdue (on parle de 400.000 personnes.) J’ai d’ailleurs rencontrés quelques jeunes Abkhazes à Istanbul, qui tentent d’organiser des cours de langue et de faire survivre leur culture. La diaspora Abkhaze vit essentiellement sur la rive asiatique d’Istanbul, mais aussi dans quelques villages du Nord-Est de la Turquie. (région de Sakarya et Bolu). Plus largement, la conquête russe du Caucase a vu le déplacement forcé de nombreuses minorités musulmanes caucasiennes, telles que les Tcherkesses (Circassiens) les Adyghes, les Tchétchènes, les Ubykhs, dans un processus appelé Muhajir.


http://www.globalsecurity.org/military/world/georgia/images/georgia-area.gif

L'Abkhazie Soviéitique

République autonome associée à la République Soviétique de Géorgie après la reconquête russe de 1921, l'Abkhazie, sous Staline, connaît une forte "Georgisation" : le Géorgien devient seule langue officielle, et Lamine Beria encourage une forte colonisation géorgienne, russe et arménienne. Les Abkhazes deviennent minoritaires sur leur territoire, mais la mort de Staline change la donne. Comme dans toute l'Union Soviétique, la création d'une identité officielle Abkhaze est encouragée, et la langue Abkhaze est promue. Des quotas ethniques donnent aux Abkhazes des place de choix dans l'administration, ce qui favorise l'apparition d'une intelligentsia.

Le Conflit

Le conflit Abkhazo-Georgien éclate en 1992, lors de l'implosion de l'URSS. Craignant la perte de l'autonomie de la république Abkhaze devant la poussée de nationalisme Georgien, les Abkhazes votent massivement en faveur du maintien de l'URSS, et boycottent le referendum en faveur de l'indépendance de la Géorgie. Des affrontements en fait dès 1989 entre étudiants Géorgiens et Abkhazes. Le 21 février 1992, le gouvernement géorgien décide de revenir à la constitution de 1921, sans clarifier le statut de l'Abkhazie.

Accusant l'Abkhazie d'héberger les partisans du président déchu Zviad Gamsakhurdia, le gouvernement Géorgien envahit la république autonome et en prend le contrôle en une semaine, dissolvant immédiatement l'assemblée abkhaze. C'est après cette victoire que commence le vrai conflit Abkhaze : aux côtés des séparatistes Abkhazes s'engagent des volontaires de diverses minorités caucasiennes, soutenues en sous-main par la Russie qui engage aussi quelques troupes régulières. Le chef de guerre Chamil Bassaev, futur guérillero Tchétchène, fait partie des para-militaires engagés contre la Géorgie, à la tête d'une "confédération des peuples du Caucase pro-russe. Son entrée le 2 octobre 1992 à Gagry aurait été marquée par le massacre des prisonnier Géorgiens et de toute la population non-Abkhaze. C'était la belle époque ou Bassaev, avant de devenir l'ennemi public n°1 en Russie, travaillait de concert avec l'ex-KGB et l'armée Russe contre l'ennemi commun : Tbilissi. Il est bientôt vice-ministre de la défense d'Abkhazie. Il aura ensuite la carrière que l'on sait...

Chamil Bassaev

Après plusieurs cessez-le-feu non respectés, les forces abkhazes et alliées lancent une offensive globale le 16 septembre 1993 : en 11 jours, après de violents combats, un afflux de réfugiés en Géorgie, la quasi-destruction de la capitale Sukhumi et 16 mois de guerre l'armée géorgienne est chassée d'Abkhazie et le conflit se fige sur la ligne actuelle.

(à la chute de Sukhumi en 1993)

Pas de grande neutralité à attendre de ce site géorgien à la mémoire des "héros" de ce conflit, mais il permet de mettre des images sur les faits... et semble attester de la présence de combattants au look très "Bassaev" du côté des séparatistes Abkhazes. Cela dit le nettoyage ethnique et les crimes de guerre commis par les paramilitaires côté Abkhaze, comme par les troupes géorgiennes, sont confirmés par les organisations internationales comme Human Right Watch dans ce rapport publié en 1995 et qui donne le meilleur aperçu du conflit.

Environ 4000 civils et militaires géorgiens et 3000 abkhazes ont été tués, 250 000 Géorgiens forcés à fuir en Géorgie. Ils vivent toujours dans des conditions très précaires, malgré l'aide apportée par le gouvernement géorgien et les tentatives de normalisation et de retour des réfugiés. Pour plus d'informations sur ces déplacements internes, on ne peut que conseiller le site "Internal Displacement" mis en place par le Norwegian Refugee Council.


www.reliefweb.int

État des lieux

Suite au cessez le feu de 1994, l'Abkhazie est divisée ainsi : 83% du territoire sont entre les mains du gouvernement séparatiste, reconnu et tenu à bout de bras par la Russie. 17% sont sous le contrôle du gouvernement abkhaze reconnu par Tbilissi, soit essentiellement la vallée de Kodori. Ce sont en fait les survivants du gouvernement élu avant l'éclatement du conflit, et dont de nombreux membres ont été exécutés en septembre 1993 par les séparatistes Abkhazes. Parmis les principales prérogatives de "ce gouvernement en exil", la prise en charge des déplacés et la réinstallation des Georgiens dans la région de Gori.

La "frontière" suit le cours de la rivière Ingouri, et est placée sous la supervision de troupes internationales.

(patrouille de l'ONU dans les gorges de Kodori)

De fait, des tirs sont régulièrement échangés, sur le modèle de l'autre "conflit gelé" du Caucase entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, avec notamment des incursions de milices de part et d'autre de la frontière.

La Georgie, depuis l'arrivée au pouvoir et le maintien contesté de Mikhaïl Sakachvilli, se réarme à vitesse grand V. La république séparatiste d'Adjarie a été "reconquise" en un battement de cils, mais l'Abkhazie soutenue par la Russie représente un morceau autrement plus délicat à avaler. Dans la vallée de Kodori, l'armée Georgienne (2500 hommes) des milices paramilitaires (la "légion blanche") et des groupes de jeunes patriotes" (2000 hommes) s'entraînent, prêts à fondre sur Sukhumi. On a signalé des instructeurs français et américains aux côtés des forces géorgiennes.

Et encore, Sakachvilli serait un "Mou" selon une partie de l'opposition. Capturé par Nata Nibladzé du Sakartvelos Respoublika lors d'une manifestation anti-gouvernementale à Tbilissi : "Si nous arrivons au pouvoir, tous ensemble nous récupérerons l'Abkhazie ", lance dans la foule Zviad Dzidzigouri, du Parti conservateur. "Ce régime ne le fera jamais, car il ne se soucie guère de la patrie".

Politiquement, l'Abkhazie est divisée entre indépendantistes et partisans de l'intégration à la Fédération Russe. De fait, 90% des Abkhazes ont un passeport russe, et la monnaie utilisée est la rouble, non le Lari géorgien. Pour Iouri Sneguirev du journal russe Izvetia, ce sont essentiellement les politiciens Abkhazes qui souhaitent l'indépendance, la population appelant de ses vœux l'union avec la Russie.

L'enjeu du retour

Aux côtés de dizaines de "nations sans Etat", l'Abkhazie occupe une place spéciale, celle des quasi-Etats sans population : en 1989, l'Abkhazie comptait 500 000 habitants et 17% d'Abkhazes contre envrion 250 000 aujourd'hui (mais les chiffres "officiels" divergent beaucoup, de 150.000 à 300.000) : les "Abkazes de souche" représentent en effet moins de 70.000 personnes en Abkhazie, aux côté d'autant de Géorgiens et de 80 à 90 000 Arméniens.

Encourager la diaspora Abkhaze en Russie, au Kazakhstan, en Ukraine et surtout en Turquie à revenir s'installer sur la terre des ancêtres, c'est l'espoir du gouvernement Abkhaze qui y voit la condition de la survie d'une identité spécifique et d'un peuplement Abkhaze majoritaire en Abkhazie...

Du fait des déplacement de population, une grande partie de ce territoire de 8600 km2 (1/4 de la Belgique) est quasi-déserte. Les réfugiés Géorgiens n'ont pas été remplacés.

Dès 1993, un loi a été votée et a entraîné la création d'un comité sur le "rapatriement" des Abkhazes de la diaspora.

Le président Sergueï Bagapch s'est rendu à plusieurs reprises en Turquie pour tenter de convaincre une partie des 400.000 descendants d'Abkhazes d'investir dans la mère patrie. Mais les moyens font défaut pour réellement convaincre la diaspora de se réinstaller. Economie sous oxygène russe, instabilité politique, danger de conflit imminent, autant de facteurs qui motivent peu les Abkhazes de Turquie, bien intégrés socialement et économiquement à la société turque. A ces réticences s'ajoutent celles de la population arménienne d'Abkhazie, qui a tendance à voir dans tout musulman un génocidaire potentiel.

Des communautés abkhazes importantes existent en Allemagne, Israël, Syrie et Jordanie (la garde personnelle du roi Hussein était composée de Tcherkesses et d'Abkhazes. Les caucasiens semblent d'ailleurs être des gardes du corps de choix, puise que Mustafa Kemal Atatürk pouvait également compter sur ses gorilles tcherkesses!)

Autre solution, encourager les 30.000 Abazas, proches des Abkhazes, vivant dans de très mauvaises conditions dans la république autonome de Karachai-Tcherkessie (Fédération Russe), à s'installer en Abkhazie. La proposition étant plus avantageuse pour eux que pour les Abkhazes de Turquie, 2000 d'entre eux ont franchi le pas. Ils se voient offrir des terres pour 15 ans, ainsi que la "nationalité" Abkhaze sans pour autant, grâce à une loi d'octobre 2005, devoir renoncer à leur nationalité actuelle.

Des 600 abkhazes ayant quitté la Turquie en 1993, seuls 60 sont restés. La langue Abkhaze est, de l'avis des experts, quasi impossible à apprendre à l'age adulte du fait de son système phonologique terriblement complexe. La lingua franca de l'Abkhazie est de plus le Russe, langue que les Abkhaze de Turquie ne connaissent pas... Les efforts pour revitaliser la langue Abkhazes, qui a tendance à disparaître dans les grandes villes, ne rencontrent pas le succès escompté : la jeunesse Abkhaze regarde vers la Russie, parle Russe, et ne représente qu'une minorité en Abkhazie. L'objectif affiché de 50.000 retours semble peu réaliste.

Le retour des Géorgiens se fait quasi exclusivement dans la région de Gali, ou les Géorgiens Mingreliens représentaient la quasi-totalité de la population avant 1992 (96% des 80.000 habitants). 45 000 personnes se sont réinstallées, sans rencontrer les mêmes problèmes (terres et maisons saisies) que les Géorgiens tentant de rentrer à Sukhumi.

Après cet aperçu historique et culturel, nous reviendrons plus en détails sur la situation actuelle du conflit et ses développements potentiels dans un prochain article.

vendredi 21 mars 2008

Le dictateur du jour - Islam et Démocratie

Je vous rassure tout de suite, nous ne vous présenterons pas un dictateur par jour. D'abord parce que le monde ne compte pas assez de dictateurs pour tenir plus de quelques mois (ce qui resterait honorable), ensuite parce que ce rythme serait difficilement soutenable. Aux "Dictateurs du jour" s'ajouteront donc des "Etats faillis du jour", des "Corrompus du jour" et des "chefs rebelles du jour".

J'ouvre donc les hostilités, avec, au hasard, parce que rien n'est plus dangereux qu'un dictateur sobre et discret Islam Karimov, omnipotent président de l'Ouzbékistan.




"La stabilité à tout prix"

Islam Bey est au pouvoir depuis le 24 mars 1990, et est donc le seul chef d'Etat que cette ex-république musulmane d'URSS ait jamais connu. Suivant le parcours classique d'apparatchik du PC, il accède à la fonction clé dès 1989. Peu après l'indépendance de l'Ouzbékistan, il est élu avec 86% des voix. Vexé, il fait étendre son mandat de 5 ans en 1995 avec près de 100% des voix, et est triomphalement réélu le 9 janvier 2000 avec 91% des voix. Il est intéressant de noter que son principal opposant déclare avoir voté pour lui. Le 27 janvier 2002, son mandat est à nouveau prolongé par référendum, et il est réélu pour 7 ans le 23 décembre 2007 avec 88,1 % des voix.


Islam Karimov n'a à première vue que peu de choses en commun avec feu son confrère Turkmène Saparmurat Nyazov, dit "Turkmenbasi". Pas de statue tournant avec le soleil, pas de livre des pensées fulgurantes constituant la base de l'éducation du peuple. Invariablement vêtu d'un costume bleu et d'une cravate rouge, Islam Karimov est un dictateur froid et méthodique, qui s'embarrasse peu d'idéologie ou de mythologie nationale. Il est là, il ne partira pas, point à la ligne. Sans s'attirer autant de publicité que son homologue, Karimov se soucie pourtant grandement de l'éducation de son peuple : en 2001, les psychologues s'émeuvent de l'éducation politique inculquée aux... élèves de Kindergarten, forcés d'apprendre l'hymne nationale et les principes constitutionnels (bafoués d'ailleurs à chaque réélection de Karimov). Sur le modèle Turkmène, les fonctionnaires doivent passer un examen en "pensée karimovienne", tout comme les étudiants à l'université avant d'être autorisés à passer leur examens.

Désireux d'assurer ses arrières, Karimov a longtemps été le meilleur allié des USA en Asie Centrale, permettant l'établissement d'une base américaine dans la région de Termez à Khanabad, à la frontière de l'Afghanistan. Changement de cap en 2005, avec la brusque expulsion des Américains et un virage vers la Russie Poutinienne, suite au massacre d'Andijan.


Aujourd'hui mis à l'index par les Etats-Unis et l'Union Européenne, Islam Karimov a un palmares droitdel'hommesque tout à fait honorable. Arrestations d'opposants, internements forcés en hopitaux psychiatriques, tortures systématiques, presse muselée, Etat d'urgence permanent face à la "menace terroriste" des mouvements islamistes. Selon plusieurs analystes, la menace islamiste en Ouzbékistan été délibérément exagérée par Karimov, qui a vu en elle une justification de son pouvoir absolu et une garantie de l'amitié américaine après 2001. Après avoir anéanti l'opposition laïque des partis "Erk" et "Birlik" (unité), Karimov ne trouve de fait face à lui que des mouvements islamistes modérés ou armés. C'est la malédiction classique des dictateurs en pays d'islam: réprimez toute opposition démocratique, et vous vous garantissez l'émergence d'un mouvement islamiste surfant sur le ressentiment de la population. Pakistan, Turquie, Egypte, Algérie, Syrie, la liste est longue, le schéma est toujours le même.

Répression

Son principal fait d'arme, qui a réussi à émouvoir l'opinion publique occidentale et à attirer les critiques de l'allié américain est le massacre d'Andijan en mai 2005, lors duquel l'armée Ouzbek tire sur la foule lors d'une manifestation réclamant la libération de 23 homes d'affaires arrêtés pour "extrémisme, fondamentalisme et séparatisme". Le 13 mai, une partie des manifestants attaque la prison dans laquelle sont retenus les prisonniers et parvient à les libérer, tuant plusieurs gardes. De plus en plus de manifestants se rassemblent sur la place centrale de la ville, jusqu'à ce que l'armée donne l'assaut à balles réelles vers 6h du soir après avoir fermé le périmètre. Le nombre exact de victimes est inconnu, mais on estime les pertes entre 600 et 1000 personnes. Environ 200 personnes sont tuées dans les jours qui suivent en tentant de franchir la frontière Kirghize. De nombreux Uzbeks sont encore réfugiés au Kirghizistan, certains aboutissant même en Tchéquie ou en Roumanie...

Cadavres alignés dans les rues à Andijan le 14 mai 2005

Contrôle de l'information

L'accès des Uzbeks au monde extérieur se restreint de plus en plus. A l'approche des élections de décembre 2007, de nombreux sites d'information indépendante comme les journaux Russes, les sites de l'opposition, les sites spécialisés sur l'Asie Centrale, les journaux Kirghizes, sont sont devenus inaccessibles. Suite aux nombreux articles dénonçant le massacre d'Andijan, la BBC, la Deutsche Welle et IWPR (dont les journalistes travaillent toujours sur place sous pseudonyme) ont été bannis du pays. Tous les services providers sont passés sous le contrôle de l'Etat, raffermissant ainsi le contrôle sur internet. L'Uzbekistan de Karimov a développé une certaine expertise de la cyberdictature, combattant ingénieusement les efforts de la population pour accéder à une information indépendante. L'agence UzInfoCom, crée par l'Etat, est à la pointe de ces technologies de contrôle d'internet, parvenant à réduire à néant les possibilités de contourner les blocages (proxy, etc.). Dans les Cafés Internet du pays, les gestionnaires sont payés par le pouvoir pour surveiller leurs clients et dénoncer leurs "lectures illicites". Une amende de 8 euro est prévue pour la consultation de site d'opposition, de 4 euro pour les sites pornographiques.

Détail rigolo, Islam Karimov a proclamé en mai 2001 le début de "L'ère de l'internet" en Ouzbekistan. D'ici à ce que l'Arabie Saoudite célèbre la journée de la femme, il n'y a qu'un pas.

En parlant de femme, la dernière tactique anti-opposition de Karimov ne manque pas de sel : ce sont maintenant des commandos de femmes roms payées par le pouvoir qui agressent à coups de griffes les manifestants pro-droits de l'homme lors de leurs maigres rassemblements.

La Succession

Au pouvoir depuis 19 ans, Karimov, âgé de 70 ans, serait atteint d'un cancer. Isolé sur la scène internationale, l'Ouzbékistan est paralysé et irréformable tant que son leader sera en place. Après lui, le chaos? L'expert Russe Alexei Malashenko lui conseille en tous cas de se trouver un successeur et le qualifie de "loneliest authoritarian ruler"... Sans clan, sans "famille" sur laquelle s'appuyer, il est isolé de sa société et en tête à tête avec son "cercle rapproché", dont sortira tôt ou tard un successeur, désigné ou pas.



mardi 18 mars 2008

Dossier - Rébellion Karen : Le Temps des Divisions

Mae Sot, Thaïlande, 14 février 2008. Cette petite ville qui marque la frontière thaïlando-birmane, réputée plutôt calme et au tourisme tranquille, sert aussi de lieu de résidence à quelques dirigeants karens en exil. Ce 14 février, Mahn Sha, secrétaire général de la Karen National Union, principale force armée engagée contre la junte militaire birmane, n’attend pas de visites particulières. A 16h, une voiture noire, immatriculée en Thaïlande, se poste sur son parking. Un homme souriant en sort, bouquet de fleur sous le bras, et jette à Mahn Sha un « Bonsoir, mon oncle » en langue karen. Un deuxième homme sort de la voiture, revolver à la main : quelques secondes plus tard, Mahn Sha est retrouvé mort devant sa résidence.

Ainsi vont les choses pour la guérilla karen, qui lutte contre le gouvernement militaire birman depuis 1949. Un combat de longue date entre deux groupes ethniques qui n’ont jamais su cohabiter sur un même territoire.

Aux origines du conflit

Avec une population estimée à environ 7 millions d’âmes au Myanmar, et 400 000 en Thailande, l’ethnie karen est l’une des plus grande d’Asie du Sud Est. D’origine tibéto-mongole, les karens se sont vraisemblablement installés en territoire birman plusieurs siècles avant notre ère. Suite à l’arrivée du peuple birman ainsi que d’autres ethnies, les siècles qui suivent seront marqués par de fortes tensions, virant parfois au combat frontal, entre les birmans, majoritaires, et les autres minorités peuplant le pays. La colonisation du pays par l’empire britannique offre un relatif répit au karens ainsi qu’aux autres ethnies, traités d’égal à égal avec les birmans.

L’invasion Japonaise durant la seconde guerre mondiale sera en revanche un véritable désastre pour les karens, dont la majorité s’étaient alliés avec les britanniques. Les historiens font état de massacres perpétrés tant par les troupes régulières nippones que par la Burma Independance Army, alliée à l’occupant. La décolonisation de la Birmanie, malgré plusieurs tentatives britanniques pour associer les karens au nouveau régime, fait office de rupture définitive entre les birmans et les karens. Une dizaine de mois après la déclaration d’indépendance en janvier 1948, le gouvernement birman décrète la formation de polices paramilitaires (Sitwundan), dirigées par le sanglant général et futur président Ne Win. Les groupes politiques karens, dont les plus anciens remontent à la fin du XIXème siècle, prennent alors la voie de la rébellion armée.

Village Karen, Nord de la Thailande (auteur)

Les karens vont dès lors mener ce qui allait devenir l’une des plus anciennes guerilla au monde. La Karen National Union (KNU), et sa puissante branche armée la Karen National Liberation Army (KNLA), qui bénéficient à leur création d’un fort soutien populaire, mènent d’emblée une tactique de guerilla « placée », concentrant leurs bases militaires près de la frontière thaïlandaise, dans un territoire censé former les bases d’un futur « Etat karen ».

S’en suivent plusieurs décennies de massacres, ponctuée par quelques succès militaires des karens, qui arriveront aux portes de Rangoon en 1949. La tendance s’inverse cependant au fil du temps, et les diverses tentatives de pourparlers de paix (1949,1960,1963) échoueront. A partir du milieu des années 1960, la junte militaire accentue sa stratégie des « quatre interdictions » (Hpyat lay hpyat), qui vise à couper les transmissions de nourriture, de fonds monétaires, de recrues potentielles et d’information aux groupes ethniques de Birmanie. Une politique toujours en œuvre aujourd’hui, et qui explique le nombre extravagant de déplacés et réfugiés, tandis que les violations de droits de l’homme se multiplient en territoire karen.

En 1988, la sanglante « bataille de la colline du chien dormant », qui coûte la vie à plus de 3000 hommes, révèle la situation des karens à la communauté internationale. Une tragédie qui allait pourtant passer complètement inaperçue au yeux du monde entier lors de la « révolte des bonzes » de 2007.

Femme Karen en habits traditionels (auteur)

L’histoire récente et les déconvenues karens

Les années 1990 marquent en fait un véritable tournant. Suite au soulèvement de 1988, la junte décide de renforcer sa présence militaire, bénéficiant de nouvelles livraisons d’armes en provenance de Chine. Les militaires birmans lancent alors des offensives de grande envergure contre l’ensemble des groupes ethniques rebelles, pour pousser ces derniers à rendre les armes et imposer des « cessez-le-feu » en position de force. Commencent alors deux décennies noire en termes de violations des droits humains : au dire des témoignages, les offensives militaires birmanes, menées tant contre les positions du KNU que vis-à-vis des camps de réfugiés s’accompagnent de déplacements forcés, de villages rasés, de viols et de meurtres arbitraires. Ces offensives n’allaient que s’accentuer au fil des années. En avril 2006, la junte lance une nouvelle offensive pour faciliter l’installation de sa nouvelle capitale, proche des territoires karens. Cette année là, sous fond de nettoyage ethnique, ils seront plus de 60,000 karens à être déplacés, selon les statistiques fournies par le Thailand Burma Border Consortium. Depuis 1990, on estime à plus de 3000 le nombre de villages qui ont étés abandonnés ou détruits, tandis que le nombre de déplacés serait proche de un million.

Sur le plan strictement militaire, les avancées de la junte poussent la rébellion karen à se replier près de la frontière thaïlandaise. Tandis qu’une grande majorité des avant-postes sont perdu, la guérilla, repoussée dans ses tranchées, devient dès lors plus mobile, sans quartier général fixe.

Au delà de ce désastre militaire, la rébellion karen paye surtout le prix de ses divisions. En 1994, un groupe dissident, la Democratic Karen Buddhist Army (DKBA), se forme du jour au lendemain. Bien que son objectif officiel soit de « lutter contre le leadership catholique de la KNU et contre les discriminations à l’écart des bouddhistes », la DKBA s’apparente plus à une poignée de chefs de guerre karens ayant rejoint la junte militaire. Cette dernière ne se prive pas, depuis le début des années 1990, de corrompre directement les chefs de guerres des diverses ethnies, basant sa politique ethnique sur le « diviser pour mieux régner ». Depuis cette scission, les tensions entre la KNU et le DKBA ne feront que s’accentuer, au point que ces derniers sont les principaux suspects de l’assassinat de Mahn Sha le 14 février dernier.

En janvier 2007, les forces militaires de la KNLA enregistrent une deuxième defection. Les militaires de la « 7ème brigade » font sécession et forment un groupe distinct baptisé le KNU/KNLA Peace Council. Ce nouveau groupe n’hésite pas à signer un accord de paix avec le junte militaire, sans pour autant obtenir l’aval de la KNU.

Sur le fond, ces défections successives marquent de vrais désaccords quant à la stratégie à adopter. Par rapport aux autres ethnies présentes en Birmanie, les karens, majoritairement catholiques, sont connus pour leur abnégation et leur rigueur morale, et restent historiquement opposés – mis à part les exceptions ci-dessus – à tout accord avec le pouvoir birman. Le recul militaire de la KNLA a cependant changé la donne, et de nombreuses voix, issues principalement d’une nouvelle génération de combattants, appèlent à un cessez-le-feu qui soulagerai tant la population civile que les troupes karens. La « vieille garde », quant à elle, estime que les positions de la guerilla sont actuellement trop faibles, et que tout accord de « cessez-le-feu » serait donc défavorable aux karens. Le souvenir du cessez-le-feu de janvier 2003, que la junte avait vraisemblablement utilisé pour renforcer ses positions militaires, reste aussi présent dans les têtes.

A ces divisions internes s’ajoute un problème profond de leadership, qui ne fait que s’accentuer au fil des années. En décembre 2006, la guerilla perd son leader historique, le général Saw Bo Mya. L’assassinat de Mahn Sha le mois dernier marque un nouveau revers pour le mouvement indépendantiste. Mahn Sha, qui occupait la position de secrétaire général de la KNU, était l’un des grands artisans du rapprochement – jusque là inachevé - avec le mouvement démocratique de la prix nobel de la paix Aung San Suu Kyi. Le KNU craint actuellement l’existence d’une « blacklist » circulée par le gouvernement birman qui viserait d’autres têtes du mouvement karen.

Mahn Sha (droite) et Bo Mya (gauche), 2004

Enfin, la KNLA semble aussi avoir des difficultés à recruter de nouvelles troupes , tandis que le population accepte de moins en moins le conflit. La jeunesse karen, plus hostile à la guerre, préfère bien souvent aller travailler en Thailande – une activité moins risquée… et bien plus rentable.

La fin de la guerilla ?

Rongée par les divisions internes, privée de ses têtes, et repoussée à la frontière thaïlandaise, la rébellion karen connaît une des heures les plus sombres de son histoire. Une situation qui pousse certains observateurs asiatiques à évoquer une possible « fin » de l’une des guerillas les plus vieilles aux mondes.

Malgré la « révolte des bonzes » de 2007, la situation humanitaire du pays karen reste largement ignorée par la communauté internationale. A tel point que Sylvester Stallone, pour parer à cette sous-médiatisation, a fait du pays karen le décor du dernier opus de la série des Rambo – le héros vient alors à bout de la junte militaire, et aide les karens à obtenir leur indépendance. Le film est bien entendu caricatural, mais l’effort est louable. C’est cependant d’une véritable armée de « rambos » dont la KNLA, 10000 hommes annoncés mais sans doutes moins de 5000 dans les faits, aurait besoin pour venir à bout de l’armée régulière birmane, 400 000 hommes au compteur.



Manu Brutin

Liens:
- Site web Karen People

mardi 11 mars 2008

Le projet Terres Grises

Ce blog vise à faire connaitre au public ces conflits obscurs qui attirent rarement l'attention des médias. Du Caucase à la jungle birmane, des Grands Lacs à la vallée du Fergana, le monde est traversé de guerres sans nom aux protagonistes difficilement identifiables. Quand Darfour, Chiapas, FARC et Kosovo sont au premier plan, que deviennent les Naxalites, les Karens, l'Ossétie et la Casamance?

Sans prétention, nous allons de tenter de vous apporter quelques éclairages sur ces terres grises du XXIème siècle de la manière la plus objective et non-partisane possible. Nos articles sont basés sur des voyages et expériences personnelles et un intérêt affirmé pour ces sujets. L'essentiel des informations contenues dans les articles seront tirées de sites spécialisés et de l'actualité la plus pointue.


Mossoul, Irak, Aout 2005 (auteur)