J'ouvre donc les hostilités, avec, au hasard, parce que rien n'est plus dangereux qu'un dictateur sobre et discret Islam Karimov, omnipotent président de l'Ouzbékistan.
"La stabilité à tout prix"
Islam Bey est au pouvoir depuis le 24 mars 1990, et est donc le seul chef d'Etat que cette ex-république musulmane d'URSS ait jamais connu. Suivant le parcours classique d'apparatchik du PC, il accède à la fonction clé dès 1989. Peu après l'indépendance de l'Ouzbékistan, il est élu avec 86% des voix. Vexé, il fait étendre son mandat de 5 ans en 1995 avec près de 100% des voix, et est triomphalement réélu le 9 janvier 2000 avec 91% des voix. Il est intéressant de noter que son principal opposant déclare avoir voté pour lui. Le 27 janvier 2002, son mandat est à nouveau prolongé par référendum, et il est réélu pour 7 ans le 23 décembre 2007 avec 88,1 % des voix.
Islam Karimov n'a à première vue que peu de choses en commun avec feu son confrère Turkmène Saparmurat Nyazov, dit "Turkmenbasi". Pas de statue tournant avec le soleil, pas de livre des pensées fulgurantes constituant la base de l'éducation du peuple. Invariablement vêtu d'un costume bleu et d'une cravate rouge, Islam Karimov est un dictateur froid et méthodique, qui s'embarrasse peu d'idéologie ou de mythologie nationale. Il est là, il ne partira pas, point à la ligne. Sans s'attirer autant de publicité que son homologue, Karimov se soucie pourtant grandement de l'éducation de son peuple : en 2001, les psychologues s'émeuvent de l'éducation politique inculquée aux... élèves de Kindergarten, forcés d'apprendre l'hymne nationale et les principes constitutionnels (bafoués d'ailleurs à chaque réélection de Karimov). Sur le modèle Turkmène, les fonctionnaires doivent passer un examen en "pensée karimovienne", tout comme les étudiants à l'université avant d'être autorisés à passer leur examens.
Désireux d'assurer ses arrières, Karimov a longtemps été le meilleur allié des USA en Asie Centrale, permettant l'établissement d'une base américaine dans la région de Termez à Khanabad, à la frontière de l'Afghanistan. Changement de cap en 2005, avec la brusque expulsion des Américains et un virage vers la Russie Poutinienne, suite au massacre d'Andijan.
Aujourd'hui mis à l'index par les Etats-Unis et l'Union Européenne, Islam Karimov a un palmares droitdel'hommesque tout à fait honorable. Arrestations d'opposants, internements forcés en hopitaux psychiatriques, tortures systématiques, presse muselée, Etat d'urgence permanent face à la "menace terroriste" des mouvements islamistes. Selon plusieurs analystes, la menace islamiste en Ouzbékistan été délibérément exagérée par Karimov, qui a vu en elle une justification de son pouvoir absolu et une garantie de l'amitié américaine après 2001. Après avoir anéanti l'opposition laïque des partis "Erk" et "Birlik" (unité), Karimov ne trouve de fait face à lui que des mouvements islamistes modérés ou armés. C'est la malédiction classique des dictateurs en pays d'islam: réprimez toute opposition démocratique, et vous vous garantissez l'émergence d'un mouvement islamiste surfant sur le ressentiment de la population. Pakistan, Turquie, Egypte, Algérie, Syrie, la liste est longue, le schéma est toujours le même.
Répression
Son principal fait d'arme, qui a réussi à émouvoir l'opinion publique occidentale et à attirer les critiques de l'allié américain est le massacre d'Andijan en mai 2005, lors duquel l'armée Ouzbek tire sur la foule lors d'une manifestation réclamant la libération de 23 homes d'affaires arrêtés pour "extrémisme, fondamentalisme et séparatisme". Le 13 mai, une partie des manifestants attaque la prison dans laquelle sont retenus les prisonniers et parvient à les libérer, tuant plusieurs gardes. De plus en plus de manifestants se rassemblent sur la place centrale de la ville, jusqu'à ce que l'armée donne l'assaut à balles réelles vers 6h du soir après avoir fermé le périmètre. Le nombre exact de victimes est inconnu, mais on estime les pertes entre 600 et 1000 personnes. Environ 200 personnes sont tuées dans les jours qui suivent en tentant de franchir la frontière Kirghize. De nombreux Uzbeks sont encore réfugiés au Kirghizistan, certains aboutissant même en Tchéquie ou en Roumanie...
Contrôle de l'information
L'accès des Uzbeks au monde extérieur se restreint de plus en plus. A l'approche des élections de décembre 2007, de nombreux sites d'information indépendante comme les journaux Russes, les sites de l'opposition, les sites spécialisés sur l'Asie Centrale, les journaux Kirghizes, sont sont devenus inaccessibles. Suite aux nombreux articles dénonçant le massacre d'Andijan, la BBC, la Deutsche Welle et IWPR (dont les journalistes travaillent toujours sur place sous pseudonyme) ont été bannis du pays. Tous les services providers sont passés sous le contrôle de l'Etat, raffermissant ainsi le contrôle sur internet. L'Uzbekistan de Karimov a développé une certaine expertise de la cyberdictature, combattant ingénieusement les efforts de la population pour accéder à une information indépendante. L'agence UzInfoCom, crée par l'Etat, est à la pointe de ces technologies de contrôle d'internet, parvenant à réduire à néant les possibilités de contourner les blocages (proxy, etc.). Dans les Cafés Internet du pays, les gestionnaires sont payés par le pouvoir pour surveiller leurs clients et dénoncer leurs "lectures illicites". Une amende de 8 euro est prévue pour la consultation de site d'opposition, de 4 euro pour les sites pornographiques.
Détail rigolo, Islam Karimov a proclamé en mai 2001 le début de "L'ère de l'internet" en Ouzbekistan. D'ici à ce que l'Arabie Saoudite célèbre la journée de la femme, il n'y a qu'un pas.
En parlant de femme, la dernière tactique anti-opposition de Karimov ne manque pas de sel : ce sont maintenant des commandos de femmes roms payées par le pouvoir qui agressent à coups de griffes les manifestants pro-droits de l'homme lors de leurs maigres rassemblements.
La Succession
Au pouvoir depuis 19 ans, Karimov, âgé de 70 ans, serait atteint d'un cancer. Isolé sur la scène internationale, l'Ouzbékistan est paralysé et irréformable tant que son leader sera en place. Après lui, le chaos? L'expert Russe Alexei Malashenko lui conseille en tous cas de se trouver un successeur et le qualifie de "loneliest authoritarian ruler"... Sans clan, sans "famille" sur laquelle s'appuyer, il est isolé de sa société et en tête à tête avec son "cercle rapproché", dont sortira tôt ou tard un successeur, désigné ou pas.
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