vendredi 16 mai 2008

Mao en Inde : le mouvement Naxalite

La "plus grande démocratie du monde" n'est pas à l'abri des groupes rebelles, guérillas improbables et régions séparatistes. Si le conflit du Cachemire attire toute l'attention internationale du fait de l'implication du Pakistan, de nombreux Etats du nord de l'Inde sont traversés depuis plusieurs décennies par des affrontements meurtriers entre des groupes rebelles et l'armée fédérale et ses supplétifs: parmi eux l'Assam, le Manipur, le Nagaland, le Chhattisgarh, le Jharkhand, le Jammu-et-Cachemire, l'Andhra Pradesh, le Karnataka et le Maharashtra. Selon l'Asian Legal Resource Center (ALRC) au moins 192 des 604 districts indiens connaissent actuellement des actions armées contre le pouvoir central.

Concentrons nous aujourd'hui sur le mouvement des "Naxalites", qui a pour particularité de ne pas être basé sur un Etat précis, mais vise au contraire à embraser l'Inde entière.


Le Naxalisme tire son nom de la ville de Naxalbari dans le district de Darjeeling au Bengale Occidental, théâtre du massacre le 25 mai 1967 de 11 civils assistant à un meeting maoïste. Ce mouvement révolutionnaire avait été créé le 3 mars 1967 par Charu Majumdar : préconisant l'appropriation des terres et des récoltes par les paysans pauvres, et l'élimination des "ennemis de classe", le groupe de Majumdar est exclu du parti communiste indien et devient le 1er mai 1967 le "CPI/ML" (Communist party of India / Marxist Leninist).

A la mort de Majumdar en 1972, le parti éclate en une myriade de groupuscules dont les principaux, résultant de fusions, sont le "people's war group" (1998), le CPI Maoist (présent dans 156 districts) et le CPI-ML Janashakti (présent dans trois Etats). Les scissions n'ont souvent aucune base idéologique concrète, et reposent sur des conflits de personnes et des excommunications mutuelles, caractéristiques des mouvements maoïstes dans le monde : une pensée émue pour la mouvance maoïste en Turquie, dont la principale réussite est la production d'acronymes obscurs à chaque schisme inévitable entre ses différentes chapelles.

Tous ces groupes ont en commun la volonté d'instaurer un "gouvernement du peuple" par la grâce d'une insurrection basée sur les campagnes, transformant des zones de guérilla en "zones libérées" aboutissant à l'encerclement et à la prise des villes: la doctrine militaire de Mao, qui a abouti au Népal à la "libération" de dizaines de disctricts et à l'asphixie de Kathmandou encerclée par la guérilla.


La Guérilla connaît depuis 2004 un nouvel essor, avec la fusion du People War's group et du "Maois Communist Center of India" réunis pour former le Parti Communiste Indien Maoïste.

Pour Mamohan Singh, premier ministre indien, les Naxalites représentent "le plus grand défi pour la sécurité intérieure du Pays"...

La suite bientôt!

dimanche 4 mai 2008

Le traficant de drogue du jour: Khun Sa, le Don Corleone asiatique

"My people grow opium. And they are not doing it for fun. They do it because they need to buy rice to eat and clothes to wear"

Il s'agit d'une chronique posthume, puisque Khun Sa est mort l'année dernière, mais il était difficile de passer à coté du "maître du triangle d'or", qui régna sur le commerce d'opium (et donc d'héroïne) pendant plus de trente ans. Retour sur Khun Sa, donc, un homme qui savait particulièrement bien utiliser les revendications politiques des ethnies asiatiques pour mieux consolider sa domination sur la production mondiale d'héroïne...

Largement mythifié de nos jours, le triangle d'or désigne la région située à la frontière entre le Laos, la Thaïlande et la Birmanie, idéale pour la culture de l'opium à plus d'un titre. D'une part, la jungle épaisse rend difficile toute détection des champs de pavots ou les usines de raffinage, tandis que le relief, marqué par de nombreuses collines (1000-1600 mètres) est idéal pour le faire pousser. De plus, la superposition de trois pays, qui ne collaborent pas particulièrement en matière de criminalité, y a rendu le trafic de stupéfiants particulièrement aisé. Enfin, le triangle d'or est habité par une myriade de groupes ethniques qui non seulement n'appartiennent pas à proprement parler à l'un des trois états, contre lesquels ils sont fréquemment en rébellion, mais qui ont de plus une véritable tradition de la culture de l'opium pour sa consommation locale. Dans de telles conditions, il n'ait donc pas étonnant que le triangle d'or soit devenu le centre névralgique de la production mondiale d'héroïne, malgré un véritable renouveau de la "filière afghane" depuis l'intervention américaine en 2001. Et un homme, absolument unique en son genre, allait gérer la grande majorité de cette production (vraisemblablement plus de 50%): Khun Sa, dont le nom (qu'il a choisit) signifie tout simplement Prince Prospère.

Du mercenaire au trafiquant de drogue



Source: Downside World News

Né d'un père chinois et d'une mère shan (ethnie asiatique), Khun Sa est un véritable meneur de rébellion professionnel. Dès sa jeunesse, il suit les troupes du Kuomintang (KMT), parti nationaliste chinois, dans leur exil en Birmanie suite à la défaite face à la Chine de Mao. Il forme une petite milice (ka kwe ye) d'environ 1000 hommes en 1963, et convainc leur gouvernement birman de lui offrir armes et équipement pour "faire le ménage" dans cette partie du territoire, où sévit notamment une rébellion shan. Et, dans un premier volte-face, rompt avec le KMT pour lancer son propre business de production d'opium. Les années suivantes sont passées à combattre le KMT pour s'approprier le trafic d'opium, avec la bénédiction du gouvernement birman.

En 1969, il passe malgré tout par les prisons birmanes, le gouvernement central le soupçonnant d'avoir entretenu des contacts amicaux (une véritable alliance, en fait) avec les shans. Une fois libéré en l'échange de médecins russes, il embrasse pleinement la cause shan et notamment de la Shan United Army, véritable armée dont on ne sait exactement si elle défend la cause shan ou l'intérêt personnel de Khun Sa, à savoir le trafic d'opium. Il s'agit du deuxième volte-face de Khun Sa, qui restera depuis lors fidèle à la cause shan qu'il avait auparavant combattu avec ferveur.

Le Prince prospère

A partir de 1975, les activités de Khun Sa connaissent une augmentation sans précédent, grâce notamment au recul du KMT. S'en suivent deux décennies de grande prospérité: Khun Sa établit son QG en Thaïlande, et devient le maître incontesté du triangle d'or. La machine est parfaitement rodée: achats d'opium aux minorités shan, Kokang, Wa de Birmanie, de Thailande et du Laos, puis envoi de l'opium dans des raffineries, souvent situées aux frontières. De là, tout un réseau d'exportateur indépendant gère l'envoi d'une heroïne presque pure vers les marchés occidentaux. Les raffineries sont même protégées par des missiles sol/air!

Les minorités de la région jouent un triple rôle dans l'empire que gère Khun Sa: fournisseurs d'opium, les membres des ethnies, principalement des shans, composent aussi le gros de l'armée du baron de la drogue, dont les effectifs atteindront le chiffre hallucinant de 20 000 soldats. Mais Khun Sa sait aussi acheter le "silence" des ethnies pour mieux préserver son système: lors d'un récent voyage que j'ai effectué dans la région de Mae Hong Son, des villageois confiaient ainsi regretter la mort "d'un homme qui nous achetait le poulet cinq fois plus cher que les thaïlandais". Don Corleone asiatique, Khun Sa était aussi un homme qui prétendait redistribuer ses profits au "peuple".

Bien que la Thailande, qui commence sa politique active de lutte contre l'opium au début des années 1980, force Khun Sa à déménager son QG en Birmanie, les années 1980 sont florissantes du point de vue business. Voyant des tonnes d'héroïne déferler à l'intérieur de leurs frontières, les autorités américaines commencent à s'intéresser au maître du triangle d'or, donc l'ampleur médiatique s'accroît de jour en jour.

Le depart à la retraite

Et le porte parole de la US Drug Enforcement Agency, Thomas Constantine, de dénoncer "un homme qui a fait autant de mal à la planète que l'ensemble des chefs mafieux de l'histoire". Au milieu des années 1990, les services secrets américains allaient faire de lui l'une de leurs cibles prioritaires. Bon prince, Khun Sa proposera alors au gouvernement des Etats-Unis de racheter sa production d'héroïne afin que celle-ci ne soit pas écoulée en occident. Plusieurs attaques judiciaires seront lancées contre lui aux Etats-Unis, où Khun Sa est appelé - dans les cercles officiels - le "prince de la mort".

En Thailande, la culture de l'ail a maintenant remplacé l'opium (auteur)

Au milieu des années 1980, richissime et fatigué, Khun Sa doit faire face aux divisions internes de l'armée Shan, à un moment ou la junte birmane intensifie ses actions militaires contre les rébellions ethniques. En difficulté, il crée alors un Parlement shan, et annonce dans la foulée la création d'un état indépendant shan, dont il est lui même le Président. La mayonnaise ne prend pas, et les dissensions dans les rangs de l'armée shan sont de plus en plus fortes.

Du jour au lendemain, l'impossible se produit: Khun Sa annonce sa retraite officielle, en accord avec le gouvernement birman. Les termes de cet "accord" avec la junte militaire sont particulièrement saisissants: Khun Sa est complètement amnistié, et la junte se refuse à l'extrader aux Etats-Unis, où plusieurs condamnations le concernent, en l'échange de deux millions de dollars. Cerise sur la gâteau: Khun Sa obtient même l'exploitation d'une ligne commerciale de bus. Il meurt une dizaine d'années après, le 28 Octobre 2007, dans sa villa à Rangoon.


Khun Sa, tout sourire lors de sa réddition en 1996 (source: Myanmar Narcotic)